« Les acteurs politiques kenyans se livrent à un double jeu »

Publié le par Hugues

Les explications d’Alain Roger Edou Mvelle, chercheur en Relations internationales, spécialiste des politiques de sortie de crise.

 

 

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Des observateurs ont-ils raison de craindre le retour des violences lors de ce scrutin au regard de celles qui ont émaillé celui de 2007?

De manière générale, la période de campagne a été marquée par un calme relatif par rapport à 2007. Néanmoins, la crainte des observateurs est fondée en raison d’une part, de la montée des violences ethniques dans le pays. D’autre part, alors que le discours politique qui irradie les arènes publiques renvoie au fair-play, à l’acceptation du verdict des urnes, la mobilisation des acteurs dans les meetings dévoile un discours plus agressif des différents camps. Cette dernière configuration en fait un espace théâtral où l’on joue aux gentlemen à la télévision en promouvant la paix alors que, dans la réalité, on ressuscite les enjeux clivants, notamment la redistribution des richesses et l’instrumentalisation des écarts entre le local et le national.

 

 

Alain Roger Edou Mvelle : « Les forces de sécurité doivent encadrer

les pulsions partisanes en garantissant l’ordre public.»

 

Est-ce que le fait qu’Uhuru Kenyatta et son colistier soient poursuivis par la Cpi ne va pas influencer le scrutin ?

Je pense qu’il faut faire la différence entre le dossier judiciaire des deux candidats en coalition et le dossier politique qui nous concerne directement ici. Il est vrai que, dans les scripts cognitifs des populations en Afrique, la Cpi est perçue comme un instrument supplémentaire de l’ordre néocolonial. Il y a là une politisation du champ judiciaire qui peut inspirer les deux candidats dans la mobilisation de leurs discours. D’ailleurs ces derniers ont déjà avancé que la Cpi et Raila Odinga sont de connivence. La temporalité de l’élection coïncidant avec celle du procès à la Cpi, il est clair que le scrutin kenyan pourrait en être déterminé, d’autant que la Cpi a annoncé qu’elle va poursuivre la procédure d’abstraction faite des joutes politiques qui se déroulent dans un espace national.

Comment entrevoyez-vous l’avenir du Kenya après cette présidentielle ? 

Je pense que trois éléments imbriqués structurent la construction du futur de ce pays. Il y a d’abord la capacité pour les candidats à respecter le code de bonne conduite auquel ils ont souscrit. En ce sens, la contestation rituelle de l’opposition y compris lorsqu’elle est infondée est de nature à précipiter le pays dans les violences post-électorales comme en 2007-2008.  Ensuite, le rôle des institutions chargées de l’organisation du scrutin sera primordial. Elles devront être impartiales pour être légitimes et donc, légitimer le résultat. A cela, il convient d’ajouter le rôle des forces de sécurité qui doivent encadrer les pulsions partisanes en garantissant l’ordre public. Enfin, l’observation électorale internationale est de nature à jouer une partition décisive en termes de construction ou de déconstruction du consensus post-électoral et donc, de civilisation des mœurs entre entrepreneurs politiques. Une dernière observation tient à la difficulté de mettre en scène le partage du pouvoir. Si hier, il était relativement aisé de statuer sur une approche bicéphale de l’ordre gouvernant, aujourd’hui la scénographie politique du Kenya est structurée autour de quatre pôles qui complexifient cette opération. 

Propos recueillis par Hugues Marcel TCHOUA

 

Repères chronologiques des événements politiques au Kenya  

 

1992, 29 décembre - Daniel Arap Moi élu lors du premier scrutin multipartite face à une opposition divisée. Scrutin précédé et suivi de violences à caractère ethnique faisant des centaines de morts.

1997, août à octobre - Une centaine de morts dans des troubles politico-ethniques à Mombasa, dans la région côtière.

1998, janvier à février - 127 morts dans de nouvelles violences ethniques dans la vallée du Rift.

1998, 7 août - Attentat à la bombe contre l'ambassade américaine à Nairobi : 213 morts, 5.000 blessés.

2004, 3 et 7 juillet- Premières manifestations contre le président Mwai Kibaki, au pouvoir depuis fin 2002.

2007, 12 et 14 juillet - Au moins 82 morts dans des violences entre les clans rivaux Borana et Gabra (Nord-Est).

27 décembre – Vote massif pour départager Mwai Kibaki et Raila Odinga.
30 décembre- Victoire du président sortant Kibaki selon la commission électorale avec 200.000 voix d'avance. Raila Odinga accuse le président sortant de fraude sur « 300.000 voix ». Déclenchement des émeutes dans plusieurs villes du pays.

2008, 1er janvier - Au moins 35 personnes meurent dans l'incendie volontaire d'une église.

Février – Signature d’un accord de partage du pouvoir entre le Kibaki et  Odinga.

13 avril - Odinga nommé Premier ministre.

15 octobre - Le rapport de la commission d'enquête sur les violences post-électorales implique des responsables politiques et économiques du pays

2010, août – Adoption par référendum d’une nouvelle instituant un Parlement bicaméral et des gouverneurs et garantissant la promotion et la protection des droits sociaux, économiques et politiques des citoyens, avec un système électoral équitable.

2009, juillet – Création de la Commission Vérité et Réconciliation

2012, 11 novembre - 42 policiers, poursuivant des voleurs de bétail à Baragoi, sont tués dans une embuscade ; ainsi que 3 de leurs agresseurs lors de la fusillade.

2013, 04 mars, élections générales. Huit candidats en lice pour la présidentielle.

 

Publié dans International

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