« Une période de crise cumulative »

Publié le par Hugues

nyanid 

Dr Zacharie Serges Raoul Nyanid, Phd en science politique, chercheur en relations internationales.

 

Qu’est-ce qui, selon vous, est à l’origine du soulèvement des jeunes dans certains pays du monde arabe ?

La colère des jeunes n’est pas une spécificité de cet environnement. Partout dans le monde, surtout dans sa partie dite libre et développée, les jeunes sont de plus en plus en colère, manifeste ou latente, de plus en plus violents, sans que cela ne soit particulièrement et suffisamment relayé. Ceci étant, le « tous ensemble » que semble scander la jeunesse de quelques pays du monde arabe sous forme de solidarité insurrectionnelle, entre dans la catégorie de la désectorisation conjoncturelle de l’espace social, traduite par des mobilisations, entendues ici comme processus de changement dans des sociétés en transition.  Qui voit les engagements sociaux, économiques et psychologiques s’effriter, rendant ainsi les individus libérés de leurs allégeances traditionnelles, disponibles pour de nouveaux modèles de socialisation et de comportement. Elle valide l’hypothèse de continuité qui scrute ce qui se joue dans les processus de crise eux-mêmes, et qui aboutissent aux sous-produits de ces processus tels que la chute d’un régime, la guerre civile, le compromis aboutissant à un rééquilibrage du système politique ou encore bien sûr, le changement, l’une des catégories fourre-tout parmi les plus accueillantes de celles dont dispose la science politique.

La réponse des gouvernements est-elle appropriée ?

Au-delà des caricatures que l’on peut faire de la situation qui prévaut et qui semble inspirer les gouvernements dans les modalités de sortie de crise (baisse des prix des denrées, tentative de maîtrise de l’inflation, promesses de création d’emplois pour les jeunes), quelque chose de profond se joue dans cette région. S’agit-il de la faillite d’un modèle, du retard des systèmes politiques, des résistances des sociétés, du refus de se laisser prendre au piège néolibéral, et l’émergence de solutions de rechange au modèle existant ? Il me semble que le paradigme de la faillite constitue un cadre d’analyse viable ici, car nous sommes dans une période de crise cumulative, définie à la fois comme crise des processus de développement d’inspiration néolibérale au Sud, mais aussi dans un monde dont les interdépendances sont multiples et incontournables; crise des modèles de développement et des idéologies qui sous-tendent les politiques et les structures des Etats ; crise des savoirs, engendrés par l’éclatement des champs du développement et les décalages de la théorie face à des réalités mal analysées.

Il est  temps de se rendre compte que nous vivons une époque critique, celle de la désillusion. Dans ce contexte, la pertinence des réponses des gouvernements sera à la mesure du diagnostic qu’ils font de la situation. Et je fais mienne cette réflexion du  regretté Pr George Ngango,  pour qui le  diagnostic erroné d’un mal ne peut qu’aboutir à une thérapeutique inadaptée. Partant de ce postulat, il convient de faire une évaluation profonde et sans complaisance des maux de ces systèmes  politiques, afin de résorber cette montée de chaleur. Car, si le détonateur  semble enclenché, c’est parce qu’il y a une poudrière, un cocktail explosif comportant entre autres, une crise sociale, une crise post-coloniale et une crise de représentation  politique, qui va bien au-delà des revendications de la pitance quotidienne.

Comment apaiser ces jeunes désoeuvrés qui ont aussi soif de liberté et de démocratie dans un contexte mondialisé ?

Contrairement à la vulgate libérale, l’interdépendance née de la globalisation n’a pas uniformisé les sociétés. Il est dès lors aisé de se rendre compte que chaque société a ses spécificités et son histoire. Il n’existe donc pas de panacée pour résorber cette onde de choc. Croire que la démocratie, perçue comme modèle homogénéisateur incarné par la représentation et la protection des droits de l’Homme en est une, me semble illusoire, car  il me semble que l’universalisation du modèle de démocratie libérale est en crise. L’Etat et la société sont porteurs de plusieurs pesanteurs qui entravent la maturation et l’éclosion des processus d’occidentalisation de l’ordre politique qui véhicule la conscience d’appartenance à un seul monde et répand les mêmes valeurs. Il faut surtout éviter d’entretenir l’illusion du fatalisme et du traditionalisme de ces sociétés politiques qui devraient s’engager dans la lutte permanente pour entretenir la répétition de leurs formes culturelles et réfléchir sur le potentiel de créativité des acteurs confrontés aux contraintes structurelles qui les obligent à se redéfinir. Il faut tout aussi éviter, comme le perroquet que l’on capture dans les forêts vierges, de reproduire les voix les plus familières.

Propos recueillis par Hugues Marcel TCHOUA

- Dr Nyanid : « L’interdépendance née de la globalisation n’a pas uniformisé les sociétés»

 

 

Publié dans International

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